Enquête de terrain sur une maladie qu’on croyait disparue, mais qui refait surface dans les zones rurales du Niger.
📍 Région de Tahoua, mars 2025 – Une alerte sanitaire qui passe inaperçue
Dans les couloirs poussiéreux du Centre de santé intégré (CSI) de Keita, un silence pesant accompagne les soupirs d’un enfant haletant. La gorge gonflée, la fièvre élevée, il lutte contre un ennemi invisible que beaucoup pensaient appartenir au passé : la diphtérie.
Depuis la fin de l’année 2023, plusieurs foyers de diphtérie ont été détectés dans différentes régions du Niger, révélant une fragilité inquiétante dans le système de prévention vaccinale.
🦠 Qu’est-ce que la diphtérie ?
La diphtérie est une infection bactérienne aiguë causée par Corynebacterium diphtheriae. Elle affecte principalement les voies respiratoires supérieures, provoquant une inflammation sévère de la gorge, un enrouement, des difficultés à respirer et, dans les cas graves, une paralysie ou la mort.
La transmission est aérienne, par les gouttelettes respiratoires. La maladie est hautement contagieuse, surtout dans les zones où la vaccination est insuffisante.
« Ce n’est pas une maladie oubliée. Elle est simplement négligée dans les programmes de santé publique », avertit le Dr Rachidou Abdoulaye, pédiatre à l’hôpital régional de Tahoua.
📊 Données inquiétantes : la diphtérie revient
Selon le Ministère de la Santé Publique du Niger, plus de 370 cas suspects de diphtérie ont été recensés en 2024, dont 143 confirmés en laboratoire par le Centre National de Référence des Maladies Infectieuses (CNRMI).
Les zones les plus touchées incluent :
- Tahoua (Keita, Abalak)
- Zinder (Kantché, Magaria)
- Dosso (Loga, Dogondoutchi)
Les enfants de moins de 10 ans sont les plus touchés, souvent ceux n’ayant jamais reçu de vaccin DTC (Diphtérie-Tétanos-Coqueluche).
🚨 Étude de cas : village de Tinkiré, commune de Keita
Dans ce village reculé à 25 km du centre urbain, six enfants ont présenté des symptômes évocateurs de diphtérie en janvier 2025. Trois en sont morts.
« Mon fils Ibrahim avait cinq ans. Il avait une toux, puis il ne pouvait plus avaler. Sa gorge était toute gonflée. On l’a emmené en charrette, mais il est mort sur la route », raconte Malam Issoufou, agriculteur.
Le centre de santé de référence le plus proche ne disposait ni de test de diagnostic rapide, ni de sérum antitoxique, ni même de personnel formé à la prise en charge spécifique de cette pathologie.
🛑 Des lacunes graves dans la prévention
- Faible couverture vaccinale :
D’après les données de l’UNICEF Niger, seulement 61 % des enfants nigériens ont reçu la série complète des vaccins DTC (3 doses). Ce chiffre chute à moins de 40 % dans les zones rurales reculées. - Absence de rattrapage vaccinal :
Les enfants non vaccinés ou ayant manqué une dose ne sont souvent jamais suivis, surtout en cas de mobilité (transhumance, déplacement des familles). - Manque de sérum antitoxique (SAT) :
Le traitement de la diphtérie nécessite une administration urgente de SAT, qui est rare, coûteux et souvent indisponible dans les structures primaires de santé. - Failles dans la surveillance épidémiologique :
La diphtérie n’est pas systématiquement déclarée par les CSI, faute de formation ou de clarté sur les protocoles de notification.
📺 Méconnaissance de la maladie dans les communautés
« Les gens ici n’ont jamais entendu parler de diphtérie. Ils pensent que c’est une malédiction ou une crise spirituelle », explique Aïssa Boukar, agent de santé communautaire à Zinder.
La sensibilisation reste quasi inexistante. Les familles confondent les symptômes avec ceux de l’amygdalite, du paludisme ou de la grippe, et ne cherchent des soins que lorsque l’enfant est déjà en détresse respiratoire.
💉 Vaccination : un pilier à reconstruire
Le vaccin DTC (ou DTP) est disponible dans le calendrier vaccinal nigérien depuis des décennies, mais sa couverture souffre d’un manque de régularité dans les campagnes, d’interruptions de stock, et d’un rejet par certaines communautés mal informées.
Le Programme Élargi de Vaccination (PEV) au Niger est soutenu par l’OMS, GAVI et UNICEF, mais ses résultats restent inégaux d’une région à l’autre.
« Il est urgent de relancer des campagnes massives de rattrapage dans les zones à faible couverture, et d’assurer une présence continue des vaccins dans les centres isolés », affirme le Dr Issa Harouna, chef du PEV à Niamey.
🔍 Recommandations prioritaires
Pour enrayer cette résurgence, les experts sanitaires proposent :
- 📌 Distribution urgente de sérum antitoxique dans les CSI des régions à risque
- 📌 Réintroduction de campagnes de vaccination de masse DTC, notamment pour les enfants de 6 à 15 ans
- 📌 Renforcement de la formation du personnel de santé pour le diagnostic différentiel
- 📌 Création d’équipes mobiles de vaccination dans les zones enclavées
- 📌 Communication ciblée en haoussa et zarma pour sensibiliser les familles rurales
🗣️ Leçons à retenir : vigilance et justice sanitaire
La réapparition de la diphtérie au Niger rappelle une vérité douloureuse : une maladie oubliée peut revenir là où la prévention échoue. Ce n’est pas un simple échec logistique ; c’est un échec de justice sociale.
Les enfants des campagnes ont droit au même niveau de protection que ceux des villes. Ignorer ces signaux d’alerte, c’est laisser la mort s’installer lentement dans les villages.
« Si un vaccin existe, aucun enfant ne devrait mourir de diphtérie en 2025 », conclut le Dr Zakaria Souley, consultant santé publique à Maradi.
📚 Sources fiables et données vérifiées
- Ministère de la Santé Publique du Niger – Bulletin épidémiologique national 2024
- UNICEF Niger – Rapport sur la vaccination et la santé infantile 2023
- OMS – Fiche technique sur la diphtérie (WHO Factsheet 2024)
- CNRMI – Centre National de Référence des Maladies Infectieuses, Niamey
- Médecins Sans Frontières Niger – Rapport de mission Keita-Zinder 2024
- GAVI Alliance – État de la couverture DTC au Niger 2023