Les enfants face à la rougeole au Niger : pourquoi le vaccin reste un luxe pour certains ?

Enquête exclusive dans les zones reculées du Niger où la rougeole continue de tuer malgré un vaccin disponible depuis des décennies.

📍 Région de Tillabéri, mars 2025 — Une tragédie évitable se répète

Dans les hameaux isolés de la région de Tillabéri, au nord-ouest du Niger, des cris d’enfants résonnent dans les cases d’argile. Mais ces pleurs ne sont pas toujours ceux de la vie. Pour Amina Garba, mère de quatre enfants, le souvenir de son fils de deux ans décédé l’an dernier de la rougeole est encore trop vif :

« Il avait juste une toux au début, puis des boutons. Quand on a compris que c’était grave, on était bloqués. Pas de centre de santé, pas de transport. »

À une époque où la rougeole est évitable grâce à un simple vaccin, pourquoi persiste-t-elle comme une cause majeure de mortalité infantile au Niger ?


📊 La rougeole au Niger : chiffres et réalité

Selon le Ministère de la Santé Publique du Niger, plus de 10 000 cas de rougeole ont été recensés entre janvier et décembre 2023, dont plus de 300 décès chez des enfants de moins de 5 ans.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) rappelle que la rougeole est l’une des maladies infectieuses les plus contagieuses, mais aussi l’une des plus faciles à prévenir grâce à la vaccination à deux doses.

Pourtant, selon les données de UNICEF Niger, seulement 58 % des enfants au niveau national reçoivent la première dose du vaccin contre la rougeole, et moins de 35 % reçoivent la deuxième dose recommandée.


🏥 Accès aux soins : des inégalités criantes

L’enquête révèle que la faible couverture vaccinale est directement liée à l’éloignement des structures sanitaires, en particulier dans les zones rurales et sahéliennes telles que Diffa, Tahoua, Agadez et Tillabéri.

Le centre de santé intégré (CSI) de Tondikiwindi, par exemple, n’a pas de chaîne du froid fonctionnelle depuis 6 mois, rendant impossible la conservation des vaccins. Les pannes d’électricité, l’insécurité liée aux groupes armés dans certaines zones, et le manque de personnel formé aggravent encore la situation.

« Nous avons des vaccins en stock à Niamey, mais ils n’arrivent pas à destination faute de logistique », déplore le Dr Salifou Harouna, coordonnateur régional des vaccinations dans la région de Dosso.


🚑 Le coût du transport : un luxe dans les zones rurales

Même si le vaccin contre la rougeole est officiellement gratuit, le coût indirect du transport, de l’hébergement ou de l’accompagnement pour se rendre au centre de santé constitue une barrière pour de nombreuses familles pauvres.

Dans le village de Tabala, à 12 km du premier centre de vaccination, Fatoumata Issaka, 24 ans, confie :

« J’ai trois enfants. Je n’ai pas de mari, pas de moto. Marcher 12 km sous le soleil avec un bébé, c’est risqué. Alors on attend que les agents passent chez nous… mais parfois, ils ne viennent pas. »


📚 Croyances culturelles et méfiance

Un autre obstacle majeur reste la méfiance vis-à-vis des vaccins, souvent liée à des rumeurs ou à un manque d’information. Certaines familles pensent encore que les vaccins peuvent rendre stérile, ou qu’ils sont réservés « aux enfants des riches ». D’autres évoquent des craintes religieuses, ou s’en remettent uniquement à la médecine traditionnelle.

Pour contrer cela, l’ONG Plan International Niger organise des séances de sensibilisation communautaire en langues locales (haoussa, zarma, peulh), mais le travail reste titanesque.

« Il faut impliquer les chefs religieux, les enseignants et les femmes leaders dans la sensibilisation. La confiance ne se construit pas avec des slogans, mais avec le dialogue », affirme Madame Aïssa Abdoulkader, responsable de programme chez Plan Niger.


🔬 Une chaîne du froid fragile

La rougeole nécessite un vaccin qui doit être conservé entre +2°C et +8°C. Or, plus de 45 % des centres de santé ruraux au Niger ne disposent pas d’électricité ou de réfrigérateurs fonctionnels.
L’UNICEF a tenté d’équiper certains centres en chaînes du froid solaires, mais le déploiement reste partiel.

Le Programme Elargi de Vaccination (PEV) du Niger, soutenu par GAVI et l’OMS, reconnaît ces défis logistiques comme « structurels et chroniques » dans son rapport de décembre 2023.


🧒 Une double peine pour les enfants malnutris

La malnutrition chronique, qui touche plus de 45 % des enfants nigériens selon UNICEF, rend ces derniers plus vulnérables aux complications graves de la rougeole : pneumonie, cécité, encéphalite, voire la mort.
L’absence de soins combinés (vaccination + nutrition) dans les campagnes accentue le risque de décès.

« Un enfant malnutri qui attrape la rougeole a jusqu’à 10 fois plus de risques de mourir », explique le Dr Aminata Diarra, nutritionniste à Médecins Sans Frontières (MSF) à Zinder.


📌 Recommandations pour une couverture plus juste

D’après une étude conjointe OMS/UNICEF/Niger Santé, les leviers d’amélioration incluent :

  • Multiplication des campagnes de vaccination mobile, surtout en saison sèche
  • Utilisation de vaccins thermostables adaptés aux zones sans électricité
  • Renforcement des partenariats avec les ONG locales
  • Création d’incitations financières ou alimentaires pour encourager la vaccination
  • Campagnes médiatiques locales, avec messages adaptés aux réalités culturelles

✊ Une urgence de justice sociale

Le vaccin contre la rougeole est un droit fondamental. Et pourtant, au Niger, il reste un privilège pour ceux qui vivent près d’un centre de santé, qui parlent français, ou qui ont une moto.

En 2025, aucun enfant ne devrait mourir d’une maladie évitable. Il est temps que le Niger et ses partenaires traitent la vaccination non comme un geste médical isolé, mais comme un pilier de justice sociale, de développement rural et de dignité humaine.


🗂️ Sources et références officielles :

  • Ministère de la Santé Publique du Niger – Rapport 2023 sur les maladies évitables
  • OMS Nigerhttps://www.afro.who.int/fr/countries/niger
  • UNICEF Niger – Données sur la couverture vaccinale et la nutrition 2024
  • Plan International Niger – Rapport annuel 2023
  • GAVI Alliance – État des programmes de vaccination au Sahel
  • Médecins Sans Frontières Niger – Bulletin trimestriel santé rurale 2024

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