Enquête approfondie depuis les zones rurales du Niger où la rougeole continue de faire des ravages malgré un vaccin accessible – mais pas à tous.
📍 Région de Zinder, avril 2025 – Témoignages d’un drame évitable
Sous le soleil brûlant de la brousse nigérienne, dans le village de Gafi, situé à plus de 40 kilomètres du centre urbain le plus proche, Hassana Issoufou, 27 ans, regarde le sol avec tristesse. Son fils de deux ans, Arouna, est décédé en février dernier. Le diagnostic ? Rougeole. Une maladie que l’on pensait pourtant reléguée au passé.
« On m’avait parlé du vaccin, mais il fallait aller à Matameye. Je n’avais ni transport, ni argent… et quand l’équipe mobile est venue, Arouna était déjà malade. »
Ce drame est loin d’être isolé. En 2024, au Niger, des milliers d’enfants sont encore exposés à la rougeole, une maladie évitable à 100 % grâce à la vaccination.
📊 Rougeole au Niger : une réalité inquiétante
Selon le Ministère de la Santé Publique du Niger, 10 756 cas de rougeole ont été enregistrés dans le pays en 2023, dont plus de 80 % chez des enfants de moins de 5 ans. Les régions les plus touchées sont Zinder, Maradi, Diffa et Tillabéri.
Le rapport 2024 de l’UNICEF Niger indique que seulement 63 % des enfants reçoivent la première dose du vaccin contre la rougeole (à 9 mois), et moins de 32 % reçoivent la deuxième dose (recommandée à 15 mois).
Dans les zones reculées, ce taux chute parfois en dessous de 20 %, un seuil dramatique qui ne permet aucune immunité collective.
🚑 Accès au vaccin : une course d’obstacles pour les familles rurales
Le vaccin contre la rougeole est gratuit au Niger grâce au Programme Élargi de Vaccination (PEV), soutenu par l’OMS, GAVI, et UNICEF. Mais pour de nombreuses familles comme celle de Hassana, la gratuité ne suffit pas.
- Manque de centres de santé proches : certains villages sont à 20 à 50 km du centre de vaccination le plus proche.
- Pénurie d’agents de santé communautaires formés à la vaccination.
- Pannes fréquentes de la chaîne du froid, qui compromet la conservation des vaccins.
- Pas de moyens de transport pour les femmes, souvent seules avec plusieurs enfants.
« Dans ma commune, nous avons un frigo solaire pour 5 villages. Quand il tombe en panne, on perd tout », déclare le Dr Boubacar Maïna, médecin chef du district de Gouré (Zinder).
🧪 Pourquoi deux doses sont nécessaires
Le vaccin contre la rougeole est l’un des plus efficaces : 93 % d’efficacité après une dose, 97 % après deux doses.
Or, dans les villages nigériens, les enfants reçoivent souvent une seule dose, voire aucune, par manque de suivi et de communication entre les structures de santé et les familles.
Les campagnes de vaccination de rattrapage, dites “JNV” (Journées nationales de vaccination), sont irrégulières, et souvent concentrées dans les centres urbains.
🧕🏽 Facteurs culturels et désinformation
Dans plusieurs régions, notamment dans les communautés rurales peules ou haoussa, certaines croyances entravent encore la vaccination :
- Crainte que le vaccin rende les enfants infertiles ou malades.
- Défiance envers les soignants venus « de la ville ».
- Préférence pour les remèdes traditionnels (infusions, ablutions coraniques).
Selon Plan International Niger, 1 mère sur 4 dans les villages reculés dit ne pas « faire confiance » au vaccin, faute d’information adaptée à sa langue ou culture.
📉 Chaîne du froid : le talon d’Achille du système
Les vaccins contre la rougeole doivent être conservés entre +2 et +8°C. Or, près de 50 % des centres de santé ruraux au Niger n’ont pas d’électricité fiable.
Les réfrigérateurs solaires, financés par UNICEF et GAVI, ne couvrent encore qu’une minorité des besoins.
Le rapport technique 2023 de Médecins Sans Frontières (MSF) signale que, dans les régions de Diffa et Agadez, 12 % des doses livrées ne sont pas administrées faute de conservation adéquate.
📺 Sensibilisation locale : des solutions qui fonctionnent
Heureusement, des initiatives locales commencent à porter leurs fruits :
- Radio communautaire “La Voix de Maradi” diffuse des messages sur la vaccination en haoussa et zarma.
- Les agents de santé féminins sont mieux acceptés dans certaines zones conservatrices.
- Des programmes de vaccination couplés à la distribution de vivres attirent plus de familles.
« Nous avons doublé notre taux de couverture en incluant les chefs religieux dans la stratégie », note Aïchatou Garba, responsable de vaccination à Dogondoutchi (Dosso).
📌 Recommandations pour renforcer l’équité vaccinale
Les recommandations issues du Forum Santé Niger 2024 incluent :
- Création de centres mobiles de vaccination permanents pour les zones enclavées.
- Formation de 3000 agents de santé communautaires supplémentaires d’ici 2026.
- Développement de vaccins thermostables, testés actuellement à Tahoua.
- Renforcement des campagnes en langues locales via mosquées, écoles et radios.
- Élargissement de la vaccination lors des consultations pré/post-natales.
✊🏾 Une question de justice et de dignité
L’accès au vaccin contre la rougeole ne devrait jamais dépendre du lieu de naissance d’un enfant.
Et pourtant, au Niger en 2025, naître dans un village isolé peut encore condamner un enfant à mourir d’une fièvre évitable.
« Ce n’est pas la rougeole qui tue nos enfants. C’est l’indifférence, le silence, et la pauvreté », conclut le Dr Moussa Abdoulkarim, pédiatre à Maradi.
🗂️ Sources officielles et données vérifiées
- Ministère de la Santé Publique du Niger – Bulletin épidémiologique annuel 2023
- UNICEF Niger – Rapport sur la couverture vaccinale 2024
- OMS Niger – Mises à jour sur la vaccination contre la rougeole
- Médecins Sans Frontières – Rapport mission Zinder 2023
- GAVI Alliance – Fiche pays Niger 2023
- Plan International Niger – Étude sur les barrières culturelles à la vaccination