Typhoïde et eau insalubre : l’autre ennemi invisible des Nigériens

Enquête approfondie depuis les zones rurales du Niger, où l’eau devient parfois source de mort lente.

📍 Région de Maradi, mars 2025 — Une menace silencieuse au fond du puits

Dans le petit village de Sabon Machi, à une trentaine de kilomètres de Maradi, le soleil tape fort, les enfants jouent pieds nus, et les femmes s’affairent autour des bassines d’eau. Cette eau, puisée d’un puits à ciel ouvert, est utilisée pour boire, cuisiner, se laver. Mais elle est aussi à l’origine d’une maladie sournoise qui ravage les familles dans l’ombre : la fièvre typhoïde.

« Ma fille Hadjara a eu de la fièvre pendant une semaine. On pensait que c’était le palu. Quand le médecin a dit que c’était la typhoïde, j’ai été choquée. Nous buvons tous la même eau », confie Aïssata Souley, mère de cinq enfants.


🦠 Comprendre la fièvre typhoïde : une maladie hydrique évitable

La fièvre typhoïde est une infection bactérienne aiguë causée par Salmonella enterica serovar Typhi, généralement transmise par l’eau ou les aliments contaminés par des matières fécales. Ses symptômes incluent une forte fièvre, des douleurs abdominales, de la fatigue et, dans les cas graves, des complications intestinales potentiellement mortelles.

« C’est une maladie de la pauvreté, de l’eau sale et de l’absence d’assainissement », résume le Dr Moussa Mamadou, infectiologue à l’Hôpital National de Niamey.


📊 Une épidémie sous-estimée au Niger

D’après les données du Ministère de la Santé Publique du Niger, plus de 68 000 cas de typhoïde ont été signalés en 2023, avec une prévalence élevée dans les régions de Maradi, Zinder, Dosso et Tahoua. Cependant, le chiffre réel serait beaucoup plus élevé, car la majorité des cas ne sont pas diagnostiqués ou confondus avec le paludisme.

Une étude menée par MSF et Epicentre en 2022 montre que près d’un tiers des enfants hospitalisés pour “fièvre persistante” dans certaines zones rurales sont en réalité atteints de typhoïde.


🚱 L’eau insalubre : une cause structurelle

Le Programme Commun Eau, Hygiène et Assainissement (WASH) du gouvernement du Niger révèle que seulement 49 % des ménages ont accès à une source d’eau potable améliorée, et que plus de 70 % utilisent de l’eau non traitée dans les zones rurales.

Dans les régions rurales comme Magaria (Zinder) ou Dakoro (Maradi), les populations dépendent principalement de puits traditionnels non protégés, souvent contaminés par les latrines à proximité.

« L’eau que nous buvons sent parfois mauvais, surtout en saison des pluies. Mais nous n’avons pas d’autre choix », témoigne Alhousseini Garba, chef de village à Guidan Roumdji.


🏥 Accès au diagnostic : un parcours semé d’embûches

Le test standard de diagnostic de la typhoïde, la culture de sang ou de selles, est inexistant dans 80 % des centres de santé ruraux, selon Médecins Sans Frontières Niger.
Les soignants se basent alors sur des symptômes non spécifiques, ce qui mène souvent à des traitements inappropriés, une résistance aux antibiotiques, et une mortalité évitable.

« On m’a donné trois traitements différents avant qu’on me réfère à Maradi. J’ai failli y rester », confie Hamidou Issaka, jeune étudiant ayant survécu à une infection typhoïdique compliquée.


💊 Traitement et coût : une injustice économique

Bien que des antibiotiques comme la ciprofloxacine ou l’azithromycine soient efficaces, leur coût est prohibitif pour les familles les plus pauvres. Le traitement complet peut coûter entre 4 000 et 10 000 francs CFA, sans compter les transports et consultations.

« Quand on vit avec moins de 1 000 FCFA par jour, on ne peut pas se permettre de tomber malade », résume Balkissa Hama, vendeuse de légumes à Tanout.


📚 Sensibilisation : un angle mort des politiques sanitaires

Malgré l’ampleur de la menace, très peu de campagnes d’information sont menées autour de la typhoïde. Le mot même est souvent méconnu des villageois, qui parlent plutôt de “fièvre sale” ou “maladie de l’eau”.
Les rares actions de sensibilisation sont menées par des ONG comme WaterAid Niger, qui combinent formations locales, radio communautaire et distribution de filtres.


💡 Initiatives locales prometteuses

Quelques projets pilotes montrent des résultats encourageants :

  • Systèmes de chloration communautaires à Gaya (Dosso), mis en place avec l’ONG Eau Vive Internationale.
  • Formation des relais communautaires pour le traitement de l’eau par ébullition ou par pastilles de purification.
  • Création de forages équipés de pompes manuelles en partenariat avec UNICEF Niger.

« Depuis qu’on filtre l’eau du puits avec de la cendre et du sable, les cas de fièvre ont diminué », affirme Rahila Abdou, membre d’un comité villageois à Madarounfa.


🔬 Le vaccin contre la typhoïde : une lueur d’espoir ?

Le vaccin antityphoïdique Vi conjugé (TCV), recommandé par l’OMS depuis 2018, offre une protection efficace et durable, même chez les enfants de moins de 2 ans.
GAVI finance actuellement des campagnes de vaccination dans plusieurs pays africains, mais le Niger n’a pas encore intégré le vaccin dans son calendrier vaccinal national.

« Il est temps que la typhoïde soit traitée avec la même urgence que d’autres maladies évitables », insiste le Dr Abdoul Aziz Maïga, expert santé publique à Niamey.


📌 Recommandations urgentes

Pour réduire durablement l’impact de la typhoïde au Niger, plusieurs mesures s’imposent :

  • Intégration du vaccin TCV dans les campagnes de vaccination de masse.
  • Déploiement de stations mobiles de traitement de l’eau dans les zones à haut risque.
  • Formation des agents de santé au diagnostic différentiel entre paludisme et typhoïde.
  • Éducation communautaire sur l’hygiène de l’eau et des mains.
  • Investissements dans l’assainissement durable (latrines, drainage).

🔍 Conclusion : la bataille de l’eau commence au robinet

La typhoïde n’est pas une fatalité. C’est le produit direct d’un accès inégal à l’eau potable, à l’éducation sanitaire et aux soins. Tant que boire un verre d’eau au Niger pourra signifier risquer sa vie, l’ennemi invisible continuera de frapper.

Assainir l’eau, c’est sauver des vies.
Éduquer les familles, c’est prévenir l’épidémie.
Investir dans la prévention, c’est choisir la justice.


🗂️ Sources officielles et vérifiées :

  • Ministère de la Santé Publique du Niger – Bulletin sanitaire 2023
  • OMS Niger – Fiche technique sur la typhoïde 2024
  • UNICEF Niger – Rapport Eau et Assainissement 2024
  • MSF Niger – Enquête épidémiologique Zinder/Maradi
  • GAVI Alliance – Dossier vaccin typhoïde TCV
  • WaterAid Niger – Programme “Eau propre pour tous” 2023
  • Epicentre Niger – Résultats d’étude communautaire 2022

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